L’avenir des eaux du Nil entre coopération et conflit
Introduction
L’annonce par l’Éthiopie de l’achèvement de la construction et du remplissage du Grand Barrage de la Renaissance (GERD) marque un tournant historique. Addis-Abeba s’apprête à célébrer ce qu’elle considère comme « l’accomplissement du siècle », tandis qu’au Caire et à Khartoum, l’inquiétude grandit face à ce qui est perçu comme une menace directe à la sécurité hydrique.
Le barrage est désormais une réalité incontournable : il peut devenir soit une plateforme de coopération régionale en matière d’énergie et de gestion de l’eau, soit un foyer de tensions susceptibles de remodeler la stabilité en Afrique de l’Est.
I. Contexte historique
- Le projet du GERD a été lancé en 2011 sur le Nil Bleu, près de la frontière soudanaise.
- Dès le départ, l’Égypte et le Soudan ont exprimé leurs inquiétudes face à l’absence d’un accord juridiquement contraignant.
- Plusieurs cycles de négociations (sous l’égide de l’Union africaine, des États-Unis et de l’Union européenne) se sont soldés par des blocages.
- Le Conseil de sécurité de l’ONU a examiné le dossier à plusieurs reprises, sans aller au-delà d’appels au dialogue.
II. Les équilibres hydriques
- Égypte : dépend à 97 % du Nil pour son approvisionnement en eau, avec un quota annuel de 55,5 milliards m³ (accord de 1959).
- Soudan : bénéficie de 18,5 milliards m³, en utilisant également le Nil Bleu pour l’irrigation et ses barrages.
- Éthiopie : bien qu’elle fournisse plus de 80 % du débit du Nil Bleu, elle ne bénéficie d’aucune part formelle.
- Impact du barrage : régulation du flux hydrique tout au long de l’année et production de 6 000 MW d’électricité, soit presque le double du barrage d’Assouan en Égypte.
III. Les positions des acteurs
- Éthiopie : considère le barrage comme un projet de souveraineté et de développement, capable d’électrifier des millions de foyers et d’exporter de l’énergie vers ses voisins. Elle insiste sur le fait qu’il ne réduira pas les quotas en aval.
- Égypte : perçoit le GERD comme une « menace existentielle » pouvant réduire drastiquement ses ressources hydriques et exige un accord juridiquement contraignant.
- Soudan : adopte une position intermédiaire, voyant des avantages (réduction des crues, moindre envasement, électricité moins chère) mais craignant des risques pour ses barrages, notamment celui de Roseires, faute de coordination technique.
IV. Scénarios d’avenir
- Maintien du statu quo sans accord :
- Accroît les tensions politiques et les risques de crises hydriques imprévisibles.
- Retour à la table des négociations :
- Scénario le plus réaliste.
- Pourrait être facilité par l’Union africaine ou par de nouveaux médiateurs (ONU, Qatar, UE).
- Escalade régionale ou internationalisation du dossier :
- L’Égypte pourrait intensifier ses pressions politiques et juridiques.
- Risque d’une intervention accrue du Conseil de sécurité.
Conclusion
Le GERD est devenu une réalité géopolitique et hydrique irréversible. Le véritable enjeu réside désormais dans la capacité des trois pays concernés – l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan – à transformer ce projet en outil de coopération plutôt qu’en vecteur de confrontation.
Seule une gouvernance basée sur le droit et la diplomatie pourra préserver l’avenir du Nil comme source de vie, plutôt que de conflit.







