Le henné est très utilisé au Tchad où il revêt de multiples dimensions, notamment sociales
Sur de longues et fines mains, des spirales s’entrecroisent, des vagues fleuries et d’autres formes géométriques se mêlent harmonieusement et s’échouent sur le bout des doigts de Myriam, une jeune Tchadienne de 19 ans.
Aujourd’hui c’est son mariage, et pour l’occasion, comme le veut la tradition, Myriam arbore du henné, la célèbre poudre verdâtre qui, appliquée sur la couche supérieure de la peau, prend une teinte brune foncée. Les idéogrammes traditionnels orneront ses mains pour deux à quatre semaines.
« Pour les Tchadiens, le Henné provient de l’un des arbres du Paradis, ce qui lui confère un pouvoir sacré. On l’applique pour avoir la ‘Baraka’ (bénédiction, en arabe) ou encore éloigner le mauvais œil », commente Habsita Hissein, une septuagénaire rencontrée par Anadolu à N’Djamena.
Connu à travers le monde, surtout dans les pays à forte communauté musulmane, pour ses vertus cosmétiques (il purifie la peau et l’adoucit, il colore, gaine les cheveux et agit comme anti-pelliculaire) le Henné est également considéré, par les musulmans tchadiens, comme le signe distinctif d’une femme mariée.
« D’ailleurs, chez nous, seule la femme mariée est autorisée à appliquer le henné, celle qui ose le porter sans remplir le statut marital, attire sur elle le mauvais sort », confie Habsita.
Selon Maimouna Ben Mallah, sociologue, le henné est « effectivement le signe distinctif d’une femme mariée, mais plus encore qu’un signe, il symbolise la responsabilité féminine dans la communauté musulmane du pays », où elle représente plus de 53%, selon des statistiques officielles. « Avant, les Tchadiens considéraient les tatouages au henné – sur les pieds et les mains- comme une obligation religieuse pour les femmes mariées qui doivent se distinguer des jeunes filles. C’est pourquoi la cérémonie qui accompagne l’application du henné est particulièrement festive, comme preuve de l’importance de l’événement ».
« D’ailleurs, parfois un jour entier est dédié à la cérémonie appelée communément ‘Hattin Henné’, qui est un moment de communion féminine intense permettant à la jeune mariée d’entrer dans le cercle fermé des épouses. Et vous pouvez le croire, pendant cette cérémonie où on tatoue la jeune mariée, les anciennes épouses, transmettent les secrets d’un foyer à la nouvelle… C’est une sorte d’initiation à la vie de couple et de famille… » explique la sociologue sans révéler la teneur « secrète » des discussions.
Une tradition qui tend toutefois à se perdre, poursuit Ben Mallah. « Aujourd’hui cette tradition ancienne de tatouage de henné pendant le mariage au Tchad, est devenue davantage une simple rencontre où les femmes se font maquiller à leurs guises et le henné est devenu, à son tour, un simple produit cosmétique comme un autre », dit-elle.
Et de plus en plus de jeunes femmes dérogent à la règle du « henné pour une femme mariée ». Les « rebelles », sont d’ailleurs appelées « fausse-plaque », s’agace Habsita, aujourd’hui grand-mère et pour qui « les traditions sont l’identité ».
« Avant, dans les années 80 à 90, même les femmes divorcées n’avaient pas le droit d’appliquer le henné, étant considérées comme exclues du cercle des épouses…Mais aujourd’hui même des jeunes filles, non mariées donc, appliquent du henné par choix esthétique », relève la sociologue.
La culture du henné se modernise peu à peu, témoignent les utilisatrices. Au point d’en devenir l’apanage de nombreuses femmes entrepreneures qui ont ouvert des salons d’esthétique consacrés au tatouage au henné.
« Outre sa valeur traditionnelle et cosmétique, surenchérit Adouma Alghoubass, sociologue nigérien approché par Anadolu, le henné a également une place de choix dans la pharmacopée traditionnelle au Tchad et dans le reste de la bande sahélienne ! «
« Il présente de fortes vertus thérapeutiques inspirées de la tradition prophétique. Au Tchad et Niger et au Mali par exemple, il est utilisé par les personnes âgées surtout pour guérir les coups de chaleur en l’appliquant sur la tête. Les tradipraticiens l’utilisent aussi pour soigner la plupart des maladies dermatologiques et l’appliquent même sur les plaies des animaux tels que l’âne et le chameau », dit-il, précisant que le henné a encore de beaux jours devant lui.