Un village situé au centre du Mali. Il compte environ 10 000 personnes, composées essentiellement d’agriculteurs, de pêcheurs, et des éleveurs. Ces couches sociales de la population se sont vues ces dernières d’années se mettre dos à dos à cause des conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs qui se disputent les terres. Cette situation s’est exacerbée avec la création des milices d’autodéfense ainsi la propagation des éléments de Katiba de Macina, un groupe islamique affilié au GSIM ( groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) de Iyad Ag Ghaly. Dans ce contexte de conflit généralisé, ce village vit aux rythmes des attaques isolées et sous l’autorité des groupes radicaux qui y font leurs lois.
Interview 1: Entretien avec le chef du village.
Bonjour Monsieur X, merci d’accepter de nous accorder un peu de votre temps afin que nous puissions vous interroger sur quelques questions concernant votre village et son quotidien dans ce contexte d’occupation djihadiste.
Nous vous assurons tout d’abord de la stricte confidentialité de votre identité, ainsi que la discrétion sur tous les éléments susceptibles de vous créer des ennuis de quelque nature qu’elle soit. Nous visons par cette interview un objectif simple, celui de donner la parole à la population qui vit dans l’extrême restriction des libertés et l’insécurité grandissante.
Question 1 : Vous vous nommez comment ?
Je m’appelle X, je suis âgé de 76 ans, père de 7 enfants.
Question 2 : Quel est votre rôle en tant que chef coutumier dans ce contexte d’occupation djihadiste ?
Avant la crise de 2012 qui a débuté au nord du pays pour se propager comme une traînée de poudre dans le centre et le reste du pays. Nous étions, nous les chefs coutumiers d’une notoriété sans égale. Nous jouissons des pouvoirs sur nos populations. Nous gérons les problèmes de nos concitoyens sans la moindre ingérence. Nous disposons de nos propres mécanismes de gestion de conflits familiaux et autres. Mais ces dernières années, tout cela a disparu, nous nous voyons très impuissants sur beaucoup des questions et problèmes de nos concitoyens.
Question 3 : Vous sentez-vous diminuer et affaibli dans vos prérogatives du fait de la présence des radicaux dans votre village ?
Aujourd’hui avec l’infiltration des groupes radicaux dans notre village, ce sont eux qui font la loi. Nous ne sommes plus capables de prendre une décision quelle qu’elle soit, ces prérogatives sont revenues aux extrémistes. C’est eux qui font la loi à leur aise. Nous avons été en quelque sorte mis sur la touche. Mais néanmoins, nous jouissons quand-même d’une certaine influence sur leurs décisions. Pas réellement comme ce fut le cas avant leur arrivée.
Question 4 : Êtes-vous une fois pris pour cible ?
Personnellement, non, les autorités coutumières que nous sommes, expliquons clairement aux groupes armés notre rôle. Cela nous empêche souvent d’être pris pour cible. Mais cela arrive quand même que nous soyons pris entre deux feux, les extrémistes nous accusent souvent de collaborer avec les forces armées maliennes et ces FaMa nous soupçonnent à leur tour d’être en connivence avec les Groupes radicaux. C’est une situation difficile à gérer.
Question 5 : Les extrêmistes vous empêchent-ils de jouer votre rôle de leader coutumier dans votre village ?
Il faut reconnaître quand-même que mes pouvoirs sont réduits, mon champ d’action s’est rétréci. Pourquoi ? Parceque avant, nous chefs coutumiers, faisons office de chef traditionnel, de juge, de médiateur entre autres. Nous sommes sur plusieurs terrains pour le bonheur de nos populations. Mais aujourd’hui, les groupes radicaux font la loi, ont leur propres mécanismes de résolution des conflits ou litiges entre villageois. Nous subissons seulement leurs décisions sans y avoir une grande influence.
Question 6 : Sur quoi repose l’économie locale et comment les femmes participent-elles activement à l’économie?
L’économie dans notre village repose exclusivement sur l’élevage, la pêche et l’agriculture et exceptionnellement sur des petits commerces.
Les femmes sont des actrices majeures dans cette économie, elles se retrouvent dans toute la chaîne de l’économie. Elles font des activités génératrices de revenus comme la vente des produits laitiers, les fruits et légumes, la transformation des produits locaux comme fromages, le beurre etc. Leurs rôles dans cette économie du village est plus important que celui des hommes car les hommes s’occupent surtout des travaux physiques difficiles comme la conduite des animaux vers des pâturages, les travaux agricoles…
Question 7 : Avez-vous déjà été invité à accomplir des tâches spécifiques par des groupes terroristes qui ont affecté l’économie du village?
Non pas du tout. L’économie du village ayant comme socle l’agriculture, la pêche et l’élevage, nous faisons tout pour que rien n’empêche à cette fragile économie de se développer et suivre son cours normal parce qu’il y va de la survie des plusieurs milliers de personnes.
Dans cette optique que nous avons donné la parole à deux femmes pour nous raconter leurs quotidiens. Le choix des femmes n’est pas anodin, parce qu’elles représentent les couches les plus vulnérables de la population.
Bonjour chère dame, cette interview vise à vous donner la parole pour exprimer de vive voix, votre option sur la situation actuelle de votre village en ayant narrant votre quotidien sous la coupole des Groupes armés radicaux.
Nous vous promettons que vous serez couvert d’anonymat, nous nous engageons à ne ménager aucun effort pour garantir votre sécurité par le biais de la discrétion.
Question 1 : Comment vous vous appellez ?
Femme X : Je m’appelle X , je suis une femme de ménage, je suis mariée, mère de 4 enfants.
Question 2 : Comment vivez-vous l’occupation des djihadistes dans votre village ?
Femme X : Ils sont dans la zone, ils circulent à moto et font des rotations improvisées dans notre village. Ils viennent s’assurer que les femmes sont bien voilées, les musiques interdites.
Question 3 : Arrive-t-il que ces groupes exercent une certaine violence physique ou morale sur les femmes ?
Femme X : personnellement, j’ai jamais été victime d’une quelconque agression de leur part. Mais cela n’empêche pas que les femmes qui se refusent de se conformer à leurs règles se voient appliquer sur elles, la sentence de la loi islamique. Elle va des coup de cravache à la lapidation dans les cas les plus extrêmes.
Question 4 : Que vous disent-ils de faire pour échapper à leur sévère châtiment ?
Femme X : Quand ils viennent au village, ils discutent uniquement avec les hommes pour leur dire de nous transmettre nous les femmes, les messages qui nous sont destinés. Dans ces messages, il y a l’interdiction formelle pour la femme de sortir de chez soi sans être voilée, la soumission aux parents et aux époux, l’interdiction de se mélanger avec les hommes etc.
Question 5 : vous sentez-vous heureuse et épanouie dans ces conditions de restriction des libertés ?
Femme X : je suis heureuse pour mes enfants et ma famille qui n’ont jamais subi un préjudice mais je suis malheureuse de ne pas pouvoir disposer de ma liberté de mouvement, d’expression, de s’habiller etc. Mais aussi pour la sécurité de mes enfants et de mon mari
Je vous remercie madame du temps que vous nous aviez consacré !
Bonjour chère dame, cette interview vise à vous donner la parole pour exprimer de vive voix, votre option sur la situation actuelle de votre village en ayant narrant votre quotidien sous la coupole des Groupes armés radicaux.
Nous vous promettons que vous serez couvert d’anonymat, nous nous engageons à ne ménager aucun effort pour garantir votre sécurité par le biais de la discrétion.
Question 1 : Comment vous vous appellez ?
Femme Y : Je m’appelle Y, je suis célibataire, sans enfants.
Question 2 : Comment vivez-vous l’occupation des djihadistes dans votre village ?
Femme Y : Je suis triste par des attaques constantes dans nos terroirs. Les habitants de notre village ne voyagent plus comme avant. Ils sont enfermés dans le village seulement. Je voulais faire des grandes études, devenir médecin de mon pays pour soigner mes compatriotes. Tous ces rêves sont devenus chimères puisque nous sommes réduits aujourd’hui à la dure loi des maîtres du terrain ( Djihadistes) qui ne nous donnent comme droit aux femmes que le mariage, le soin au foyer et les tâches ménagères.
Question 3 : Arrive-t-il que ces groupes exerce une certaine violence physique ou morale sur les femmes ?
Femme Y : Oui, les violences sont exercées parfois sur les femmes qui ne respectent pas les règles de la religion musulmane comme le port du voile, ou qui pratiquent les relations hors mariage entre autres.
Question 4: Que vous disent-ils de faire pour échapper à leur sévère châtiment ?
Femme Y : Les groupes exigent que toute femme porte le Niqab ( vêtements pour couvrir le visage et tout le reste du corps), de ne point avoir des relations hors mariage, de ne pas écouter la musique etc. D’apporter obéissance à nos époux pour les femmes mariées et aux parents pour les célibataires. Toute femme qui déroge à ces règles se verra illico presto être sévèrement punie.
Question 5 : vous sentez-vous heureuse et épanouie dans ces conditions de restriction des libertés ?
Femme Y : Étant une jeune fille à fleur d’âge, je ne peux pas dire que je suis heureuse, pourquoi ? Parceque j’ai des rêves que je chérie et la présence des groupes radicaux m’empêche de les poursuivre. Parce que la vie pour une femme ici, au village se limite à se marier faire des enfants, et s’occuper des travaux ménagers.
Je vous remercie madame du temps que vous nous aviez consacré !